dimanche 1 mai 2016

Grossesse, handicap, maladie : faire le choix d'un DPI ou d'une IMG, ou pas

Ma grossesse ne fut pas "passionnante" en soi (sauf pour les médecins, éventuellement), mais elle fut (chaotique, étrange, dangereuse, merveilleuse, imprévue et imprévisible) ponctuée de toute la panoplie ou presque de questions éthiques qui me tiennent particulièrement à cœur : PMA et diagnostic préimplantatoire (auxquels je n'ai pas eu recours, à la grande stupéfaction – teintée d'un certain mépris – du corps médical), interruption médicale de grossesse (et, oh surprise !, idem..), sacrifier une vie (l'un des jumeaux) pour en sauver une autre (si là on ne touche pas du doigt l'Éthique et la Morale..), l'euthanasie (non formulée ainsi évidemment, les précautions langagières furent d'usage : on m'a parlé "d'accompagner" la fin de vie de ma fille qui venait juste de naitre),
et tout ça (oui hein !, ça en fait..) en trois mois et demi et non pas neuf (car j'ai découvert ma grossesse tardivement, puis ai un peu trainé les pieds avant de me rendre – sans grande conviction – dans un CIVG ; et ensuite, finalement j'ai décidé de poursuivre ma grossesse, puis j'ai accouché prématurément : oui, moi je fais tout très vite).

Et donc, bon.. tout cela a été éprouvant, physiquement, mais surtout moralement (je ne parle pas seulement de mon moral, mais aussi de La Morale – oui moi j'y tiens à la morale), car à peu près tous mes choix "pour la vie" ont été discutés, négociés, incompris, voire m'ont été reprochés, par le corps médical mais aussi assez insidieusement par la société.



Il est vrai que ma grossesse était extrêmement risquée, pour moi, et aussi pour mes bébés. 
Il est vrai qu'elle était imprévisible : apparemment, aucune donnée médicale n'était disponible concernant une femme enceinte avec ma maladie et mon degré de sévérité + grossesse gémellaire + bébés atteints également (et autres problèmes divers et variés), j'étais "la seule" dans ce cas ; et pour cause ! Les autres femmes dans le même cas ont avorté. Des jumeaux, ou de l'un d'eux. Ou elles ont eu recours à la PMA : seuls les embryons ""sains"" (notez l'abondance de guillemets) sont implantés, et comme le but c'est de rendre la grossesse la moins risquée possible on n'implante donc pas de jumeaux ou de triplés à une "handicapée" ou personne malade.

Bref, ma grossesse.. je ne me suis pas sentie comme Jésus passant la nuit dans le jardin des oliviers, maiiiis.. pas loin. On bataille contre tout, contre soi-même, contre les statistiques qui sont autant de funestes oracles, contre le destin, contre la souffrance, et puis au petit matin.. : « Bon. Ben quand faut y aller, faut y aller ! »
L'analogie s'arrête là (Zeus merci ! car même si la résurrection ça a l'air formidable, la crucifixion nettement moins..) : tout s'est bien terminé, j'ai accouché de jumeaux (une fille et un garçon, la parité !), ils ont tenu bon malgré leur grande prématurité, et même si la vie n'est pas toute rose pour eux (fractures, et quelques autres soucis de santé) ils se portent globalement bien, rient chaque jour et sont heureux :)

Récemment, via ce blog, on m'a laissé un message. Celui-ci concerne justement ces questions (PMA, DPI, IMG) et au cas où vous y seriez confrontés aussi je partage ci-dessous ce message ainsi que mes réponses. Notez que mes réponses n'engagent que moi-même et ma personne seule, j'insiste, et que vous êtes sur mon blog et non sur le site d'un comité de bioéthique : autrement dit j'apporte ma pierre à l'édifice des réflexions, le résultat de ces réflexions reste en revanche un choix qui vous appartient.

***
« Je suis moi-même atteint du Syndrome d'Ehlers-Danlos et je me pose beaucoup de questions sur les éventuelles conséquences pour mes enfants...
As-tu déjà entendu parler de cette maladie ? »
Je ne connais pas très bien, non ; je sais "la base" : anomalie du tissu conjonctif, principalement collagène, et donc quelques points communs avec l'ostéogenèse imparfaite ; il en existe plusieurs types en fonction des symptômes ; et c'est une maladie douloureuse, avec des "pics", et une grande fatigabilité. Bref c'est pas la joie ^^" mais c'est rarement le cas avec les maladies.. On va dire qu'il y a "mieux", et il y a aussi bien pire (je pense à la fibrodysplasie ossifiante progressive, par exemple, et tant d'autres).

Quand vous dites « je me pose beaucoup de questions sur les éventuelles conséquences pour mes enfants » c'est-à-dire ?
Vous vous posez des questions sur votre propre capacité parentale en tant que personne handicapée,
ou vous vous posez des questions sur le fait de leur transmettre éventuellement la maladie ?,
ou les deux ?

Capacité parentale
Il y a de nombreux paramètres à prendre en compte lorsqu'on se demande si l'on fera de bons parents, et le handicap n'en fait "presque" pas partie. Il y a des parents sourds, aveugles, myopathes, etc (quoi que rarement en même temps, et c'est tant mieux pour eux) ; quand on est handicapé, avoir des enfants c'est comme le reste : pas simple, mais on s'adapte et on se débrouille. C'est toujours mieux si on a de l'argent, une famille et des proches pour filer un coup de main, mais bon ça.. c'est pour tout le monde pareil, handicapé ou non.
Le seul point sur lequel être vigilant, c'est les services sociaux – en gros, la PMI ; pour eux "parent handicapé" = "parent incompétent" = "enfant en danger", les signalements et autres enquêtes sociales vont bon train.. D'un côté, ils proposent des aides ; de l'autre, ils s'autorisent une surveillance qui, en fonction de sur qui on tombe (c'est complètement "à la gueule du client", c'est très variable), s'apparente à du flicage.
Et là, on est coincé : si on les trouve, à juste titre, trop intrusifs, et qu'on refuse leurs aides = c'est suspect = ils continuent la surveillance ; si on accepte les aides offertes, c'est qu'on en a besoin = ça justifie donc que la PMI continue sa surveillance. On est donc perdant ou perdant, c'est sympa ^^"
Bref, au cas où, avoir un ami avocat ou se renseigner à l'avance, ça peut être utile.

Transmission de la maladie
Alors là, c'est comme l'avortement : trop variable en fonction de l'histoire, du vécu, des capacités et émotions de chacun, pour définir une règle "objective" valable pour tous. C'est vous qui voyez, c'est votre choix.
Y'a des jeunes filles de 15 ans qui vivent très bien leur maternité et sont de bonnes mères ; d'autres accouchent dans les toilettes du lycée et y abandonnent leur bébé, celles-là en effet auraient clairement mieux fait d'avorter.
Pour le handicap c'est pareil : j'ai grandi au milieu d'enfants handicapés qui n'étaient pas malheureux, ni mécontents d'être en vie bien au contraire !, mais il y a aussi ces autres enfants, ceux que leurs parents regardent en ne voyant non pas un enfant mais un fardeau ou une erreur ; ces parents qui portent une culpabilité telle que, au quotidien, dans chaque regard, intonation de voix, geste, ils transmettent (en plus de la maladie..) ce poids à leur enfant. Ces enfants là sont terriblement malheureux, oui, et ce quelle que soit la "gravité" de leur handicap. Parce que le problème c'est pas le handicap : c'est les gens.
Il y a des gens, et je ne parle pas que des parents, qui te rendent heureux, courageux, fier, qui font tout pour t'aider, t'accompagner, te soutenir, te faire marrer, t'engueuler quand tu fais de la merde ^^", te pousser au cul, te consoler ; et puis, y'a les autres gens.. J'ai eu la chance de rencontrer davantage de gens de la première catégorie, mais il est vrai que tout le monde ne l'a pas, cette chance.

De nos jours, il existe le DPI (diagnostic préimplantatoire) pour pouvoir mener un projet parental à terme sans aucun risque de transmission de la maladie. C'est toutefois une procédure longue, lourde, mais le cas échéant c'est toujours mieux qu'un avortement pour causes médicales. De deux maux, il faut choisir le moindre.
Le recours au DPI reste cependant, dans une modeste à large mesure – tout dépend du point de vue – un choix personnel éthique : car il s'agit bel et bien de "trier" les embryons, trier qui doit naitre ou non, et ce sur la base d'une anomalie génétique. À Sparte on balançait les bébés difformes ou jugés faibles du haut d'une falaise, de nos jours la technique a changé mais le résultat est globalement le même. Vivre avec un handicap ou une maladie n'est certes pas une mince affaire, mais décider que les handicapés n'ont pas à naitre non plus.


Voilà pourquoi tout ceci est complexe, et variable en fonction de chacun.

On dit souvent qu'avoir un enfant est une étape psychologiquement délicate, car ça vous brandit un miroir ; et c'est encore plus vrai lorsqu'on est handicapé et qu'on se demande si l'on veut « infliger ça » à notre enfant : car de quel "ça" s'agit-il ?, si ce n'est se demander : « Ma vie vaut-elle d'être vécue ? » 
Si on pense, à tort ou à raison, que notre vie n'est que souffrances, douleurs, moqueries, difficultés d'adaptation, rejet, couloirs d'hôpitaux et salles d'attente, effectivement c'est normal, et même plutôt sain, de se demander si on veut que notre enfant subisse le même sort. Idem pour des maladies extrêmement graves et invalidantes, et / ou à l'espérance de vie très limitée : il est bien compréhensible (je n'ai pas dit "normal", j'ai bien dit "compréhensible", nuance) dans ces cas là d'opter pour le DPI, ou pour l'avortement pour raisons médicales. Et encore, même ici il n'est pas toujours si évident de définir ce qui est "extrêmement grave et invalidant", et de définir en gros ce que les gens peuvent supporter, leur capacité à "bien gérer" le handicap et à encaisser toutes les épreuves qui s'annoncent : ça dépend de chacun.

J'ai connu des personnes très lourdement handicapées et heureuses ; j'ai connu des personnes très lourdement handicapées infiniment malheureuses. Dans tous les cas, leur qualité de vie était rarement corrélée de manière évidente à leur "anomalie génétique". Ce qui compte davantage c'est la qualité de l'entourage, de la prise en charge médicale, de la scolarisation, de la socialisation, de l'environnement familial, et ses capacités propres à s'en sortir.

Bref (après un pavé, huhu) : ça dépend. De vous, principalement.

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